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A l'occasion des 20 ans de L'Air de rien, lisez cet écho de lecture des 180 premiers numéros réalisé par l'APA :

En novembre 2003 sortait le premier numéro de cette chronique. L'occasion, aujourd'hui, de tirer le portrait de ce gros bébé de vingt ans. Grâce à l'écho-graphie de l'APA (1), une association qui collecte des textes autobiographiques (récits, correspondances, journaux intimes) que tout un chacun lui confie. Un fonds de plus de 4000 documents accessible au public aux Archives municipales d'Ambérieu-en-Bugey, près de Lyon. Les textes reçus sont d'abord lus en sympathie, selon un protocole précis, par un membre d'un groupe de lecture qui en établit un compte-rendu (un écho). Ayant déposé à l'APA l'intégralité de mes chroniques, Sylviane Pierrot, du groupe de lecture de Strasbourg, les a lues et en a rédigé l'écho dont L'air de rien de ce mois vous propose de longs extraits ICI ! 

 

 

LOUISE : Paris 1896 -1906

Annie est une petite-fille de mon grand-père. Elle est aussi gardienne de la mémoire familiale. Elle conserve, dans des albums soigneusement rangés, des traces de vie de chaque membre de la famille. Pour l’un, c’est une photo de bébé ou une lettre écrite de sa main, pour un autre, le menu de sa communion ou une photo de son mariage, pour un troisième, un document administratif ou sa nécrologie publiée dans la presse locale. 

En consultant l’un de ces albums ...

...j’ai découvert une photo du père de Marcel (mon arrière grand-père) dont j’entendais parler pour la première fois. C’était, paraît-il, un noble désargenté devenu coiffeur et dont il ne reste qu’une photo écornée et jaunie. Il s’appelait Léon. 

Je reconstitue un début d’arbre généalogique, consulte les documents familiaux dont le livret de famille de Marcel au dos duquel il est écrit : « Ce livret, délivré au moment du mariage, devra être conservé avec soin par le chef de famille.» Et pour que le chef de famille comprenne bien le devoir lui incombant, cette partie de la phrase est écrite en caractère gras. Marcel s’y est conformé. Quatre-vingt dix ans plus tard, le livret est tout à fait présentable. 

Livret_famille_Marcel_Leclaire
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Dehors, la nuit couvrait Paris ...

... de son voile sombre à peine étoilé. Passant sous le portail de l’immeuble, Marcel s’arrêta et leva les yeux vers la sculpture en pierre blanche qui décorait l’entrée, sous le balcon du premier étage. Le chiffre quarante-trois était profondément gravé sur le ventre proéminent d’un vase décoratif. Louise sortit Marcel de sa rêverie, le tirant par la main. Elle marchait d’un pas ferme le long des immeubles de la rue de l’Arbre-Sec. 

L'envie de prend d'aller voir ces lieux ...

... Je me rends d’abord rue de l’Arbre-Sec. Le 43 existe encore. C’est un immeuble de six étages situé au-delà de la rue de Rivoli, quand on s’éloigne de la Seine, là où la rue est le plus ensoleillée. La porte s’ouvre sur un couloir peu profond. D’une porte en partie vitrée, j’aperçois une petite cour à l’ancienne. Je reste un moment immobile et j’imagine Louise allant y remplir ses seaux d’eau. Le pas de la porte est usé, j’y vois couler une rigole d’eau colorée se déversant dans la rue. Marcel joue dans la cour, faisant flotter des coques de noix dans un ruisseau d’eau bleutée.

Je pousse jusqu'à la rue Saint-Honoré ...

... voir si l’autre immeuble précédemment habité par Louise est encore existant. M’orientant au hasard, je finis par m’arrêter devant une boulangerie-pâtisserie, regroupant les numéros 123 et 125, ce qui m’arrange bien, car l’écriture sur le document des archives prêtait à confusion et j’avais hésité entre ces deux chiffres. La réalité me simplifie la vie. 

Les Archives de Paris sont situées boulevard Serrurier...

... un nom prédestiné pour y conserver de vieux papiers en toute sécurité. Le bâtiment ressemble à un blockhaus, les vitres en plus. J’observe l’archiviste ouvrir la boite en carton, en sortir une pile de chemises sur lesquelles sont inscrites en lettres majuscules un nom et un matricule.

 

Rapidement elle extrait un dossier sur lequel est écrit à la main le chiffre « 174 626 » et au dessous « Leclaire », au crayon gras de couleur bleu. A vue de nez une trentaine de feuillets, peut-être un peu plus. Que vais-je découvrir grâce au travail tatillon et méthodique de zélés fonctionnaires qui, dans la durée, parfois dans des contextes difficiles – notamment deux guerres mondiales – ont permis à de vieux documents de révéler leur vérité criante à la lumière du présent ? 

Ouvrant le dossier numéro 174 626 ...

... de l’enfant assisté Marcel Leclaire, je me plonge dans le premier papier que j’ai sous les yeux. Lentement, je déchiffre des écritures d’une autre époque, des expressions aujourd’hui désuètes, des calligraphies disparues. A la manière des moines du Moyen Age qui, du fond de leurs monastères, passaient leurs journées à retranscrire minutieusement des textes anciens, je recopie fidèlement sur un cahier tous ces documents écrits à la main un siècle plus tôt.

Le bulletin a été rédigé ...

... à Paris le 17 décembre 1906. Signature de la personne qui a présenté l’enfant à l’hospice dépositaire : LECLAIRE. Signature de l’employé qui a reçu l’enfant à l’hospice dépositaire : Vu le Directeur de l’Hospice des Enfants-Assistés : Vu et proposé le Chef de Direction de l’Assistance publique : Autorisé le Directeur Général de l’Assistance publique. » Suivi desdites signatures. Voilà. C’est sec comme un formulaire de l’administration française. Un formulaire sur lequel un fonctionnaire de l’Assistance publique de Paris avait rempli la demande de placement de Marcel. Un formulaire retrouvé parmi les quatre-vingt-onze documents qui composent le dossier d’enfant assisté de Marcel, soigneusement conservé par les Archives de Paris. Un formulaire qui me brûle les doigts lorsque je le découvre plus de cent ans après sa rédaction manuscrite et pointilleuse. 

La propriétaire du logement que Louise et Marcel ...

... au 43 rue de l’Arbre-Sec avait écrit au directeur de l’Assistance publique de Paris : « J’apprends que ma locataire, madame Louise Leclaire est décédée à l’hôpital de la Charité le 8 octobre. Son seul enfant, un fils âgé de dix ans, a été placé au dépôt de l’Assistance publique rue Denfert Rocherault, lorsque sa mère a commencé à être malade. Depuis la mort de Madame Leclaire, personne ne m’a payé le loyer. Il m’est dû le terme de juillet à octobre et le terme courant d’octobre à janvier, soit une somme de 425 francs. Le mobilier de Mme Leclaire est très convenable et l’on pourrait en retirer une gentille somme. Je renoncerai à mes droits de propriétaire au profit du pauvre orphelin, mais à une condition : que vous vouliez bien me faire retirer le plus vite possible ce mobilier, c’est à dire d’ici une dizaine de jours. Afin que je puisse louer mon logement, si cela se peut pour le terme de janvier. » Au dos de la lettre, une autre écriture, provenant de l’Assistance publique, précisait : « des renseignements complémentaires par téléphone. Remercié de l’abandon de créance. »

L'administration allait prendre ...

... les choses en main. Une liste des affaires de Louise était dressée : « Ce mobilier qui se trouve à l’ancien domicile de la défunte se compose de : 1 lit bois avec sommier et un matelas, 2 couvertures de coton, traversin, 4 chaises, 1 établi pour teinturier avec accessoires, 2 petites tables, 1 petit buffet, 1 lorgnette, 1 bicyclette pour dame, 1 cheminée, 2 fourneaux, 1 lampe à gaz, 4 chromos encadrés, 2 cadres, 1 lot d’effets divers de linge, 1 lot de vaisselle et d’instruments de maison, 1 lot d’objets divers, 1 boite contenant une petite montre cuir, deux broches et un collier fantaisie. » La liste du mobilier, préalablement établie par la concierge de l’immeuble était un peu plus détaillée que celle figurant dans le dossier de l’administration de l’Assistance publique. Ecrite au crayon à papier, chaque ligne fut soulignée au crayon bleu et précédée d’une croix au crayon noir prouvant que plusieurs vérifications avaient eu lieu pour la dresser. Ce que l’administration avait appelé « 1 lot d’effets divers de linge » avait été scrupuleusement détaillé par la concierge de l’immeuble : « 1 drap, 3 chemises, 2 corsages, 1 robe, rideaux, 4 cintres. » L’ensemble des affaires de Louise fut vendu et l’argent récolté mis en dépôt.