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A l'occasion des 20 ans de L'Air de rien, lisez cet écho de lecture des 180 premiers numéros réalisé par l'APA :

En novembre 2003 sortait le premier numéro de cette chronique. L'occasion, aujourd'hui, de tirer le portrait de ce gros bébé de vingt ans. Grâce à l'écho-graphie de l'APA (1), une association qui collecte des textes autobiographiques (récits, correspondances, journaux intimes) que tout un chacun lui confie. Un fonds de plus de 4000 documents accessible au public aux Archives municipales d'Ambérieu-en-Bugey, près de Lyon. Les textes reçus sont d'abord lus en sympathie, selon un protocole précis, par un membre d'un groupe de lecture qui en établit un compte-rendu (un écho). Ayant déposé à l'APA l'intégralité de mes chroniques, Sylviane Pierrot, du groupe de lecture de Strasbourg, les a lues et en a rédigé l'écho dont L'air de rien de ce mois vous propose de longs extraits ICI ! 

 

 

Pierre GOLDMAN

Goldman, Pierre, né le 22 juin 1944 à Lyon, intellectuel engagé d'extrême gauche ayant glissé dans le banditisme, mort le 20 septembre 1979 à Paris

 

 

Son visage est dessiné sur la couverture du livre qu'Antoine Casubolo lui consacre :  La vie rêvée de Pierre Goldman1. Pierre Goldman, ex-gauchiste, guérillero, gangster, écrivain, musicien, taulard, accusé du double meurtre de deux pharmaciennes, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité puis acquitté lors d’un second procès, sauvagement assassiné en 1979 par un mystérieux commando baptisé « Honneur de la police », jamais identifié. Dans le contexte de l’après mai 68, il devenait une icône pour toute une génération de gauchistes, lui qui avait été soutenu par les plus célèbres d’entre eux : Krivine, Kouchner, Debray, Geismar, July. Avec le recul, Antoine Casubolo fait une analyse qui n’est plus uniquement politique. Il cherche à comprendre la psychologie du personnage. Selon lui, Pierre Goldman s’est totalement identifié à son père : « Tout au long des Souvenirs obscurs, à chaque page, entre les lignes, la douloureuse quête d’approbation, le désir maladroit d’accorder chacun de ses gestes, même et surtout les plus minables, avec les enseignements du combattant, témoignent du drame de Pierre Goldman. »

 

Relire, plus de trente ans après sa sortie, Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France2 permet de découvrir Pierre Goldman sous un nouveau jour. D'y voir le petit garçon qu’il fut, écartelé entre père et mère et se fabriquant une vie héroïque pour survivre à cette forme de maltraitance parentale. Celle d’un père ne désirant pas son enfant à sa conception. Celle d’une mère préférant donner son temps au parti communiste polonais plutôt qu’à son fils de trois ans – il ne la reverra pas avant l’âge de douze ans. Celle d’un père venu kidnapper son fils pour l’empêcher de partir avec sa mère en Pologne, mais qui le confie à sa sœur plutôt que de le garder auprès de lui. Celle enfin d’un père qui émancipe son fils à l’âge de dix-sept ans comme pour s’en débarrasser enfin. La révolte de Pierre Goldman prend alors une autre signification : celle d’un jeune adulte qui s’était construit dans la mystification de sa propre histoire, s’identifiant totalement à ses parents jusqu’à se tromper d’époque.

 

Celui que l'on prenait pour un héros, pour qui Serge July disait dans l’éditorial de Libération le lendemain de sa mort : « A sa manière brutale, entière, d’une seule pièce, Pierre Goldman était le plus pur d’entre nous. Celui qui avait été jusqu’au bout de ses fantômes. Jusqu’au bout de ses fantasmes. » Celui-ci était avant tout un enfant malheureux. Selon Alice Miller, lorsqu’un adulte nie obstinément le mal qu’on lui a fait subir quand il était enfant et qu’il continue à idéaliser les fautes commises par ses parents, il finit par glorifier le traitement qu’il a subi, la violence en tant que telle : « L’adulte dispose hélas de tout un arsenal de moyens pour nier les sévices subis dans son enfance et les répéter sur d’autres. Par exemple, leur donner un maquillage idéologique, si subtil qu’il pourra même les faire passer pour légitimes3»Si l’on suit cette hypothèse, Pierre Goldman se serait donc dupé en idéalisant ses parents et leur vie de combattants pour masquer ce qu’ils lui avaient fait endurer (séparations, enlèvement, éloignements). Il aurait lui-même reproduit sur d’autres les sévices qu’il avait subis (fascination pour les armes, agressions).

 

« Qu’est-ce au fond que la haine ? poursuit Alice Miller. A mes yeux, elle est la possible conséquence de la fureur et du désespoir de l’enfant méprisé dès avant l’acquisition du langage. Tant que sa colère envers son père ou sa mère restera inconsciente et niée, elle ne s’apaisera pas. Elle peut seulement se déplacer sur des boucs émissaires, qu’il s’agisse de ses propres enfants ou de prétendus ennemis. La rage transformée en haine qui peut se donner libre cours sous le masque de l’idéologie est particulièrement dangereuse, car elle est indestructible, réfractaire à tous les préceptes moraux et peut rester très forte la vie durant. »

 

1 Editions Privé, Octobre 2005

2 Seuil, 1975

 

3 Chemins de vie – Flammarion 1998.   

Réponse d'Alice Miller à ce texte :

« Je vous remercie pour votre lettre et suis contente de la pouvoir partager avec les autres. Si vous avez lu Notre corps ne ment jamais, vous devez savoir que l'histoire de Goldman n'est pas exceptionnelle, la fuite de la vérité vers des idéologies n'est qu'une des manières d'escaper la douleur qui semble insupportable. Une fois qu'on a compris cette loi, la loi de ''l'amour'' des enfants maltraités pour leurs parents , payé si cher, on voit des exemples pareils partout. Mais il y a peu qui sont prêts à vouloir comprendre la destructivité de cet attachement. Je vous félicite d'avoir ouverts vos yeux.2 »